Directeur IBA'27 Stuttgart
LA VILLE COMME PAYSAGE D’AVENIR
100 ANS DE NOUVEAUX LOGEMENTS
À l’occasion de l’exposition internationale d’architecture 2027, on fête le centenaire de la Weissenhofsiedlung, l’un des projets d’architecture les plus influents du XXe siècle. Créé dans le contexte de l’exposition « Die Wohnung » (l’habitat) organisée en 1927 par le Werkbund (association attachée à la rencontre entre l’art et l’industrie), l’ensemble situé sur le site de Killesberg à Stuttgart est le symbole d’un renouveau radical dans la culture de l’architecture et de la conception. Érigé en un an seulement sous la direction artistique de Ludwig Mies van der Rohe, il est considéré aujourd’hui encore comme le manifeste du fonctionnalisme et a eu un impact important sur l’urbanisme international.
Des idées prônant une plus grande intégration, comme le Familistère de Guise, où, dès le milieu du XIXe siècle, la production industrielle était associée à des modèles coopératifs et à la vie quotidienne des ouvriers, sont restées des exceptions atypiques. Il en va de même pour les expériences découlant de la collectivisation de la jeune Union soviétique.
Pendant et après l’époque moderne, on assiste à une dissociation des villes. Les nouvelles idées étaient soigneusement transposées dans le droit de la construction et convenablement divisées en catégories en fonction de l’utilisation: zones résidentielles, commerciales et industrielles. Avec l’essor économique qui a suivi la Seconde Guerre mondiale, de plus en plus de centres-villes sont devenus des zones piétonnes pour pouvoir faire ses achats tranquillement et profiter de la vie culturelle.
Cette configuration de l’espace s’est propagée dans toute l’Allemagne voisine et s’est consolidée dans le droit de l’aménagement, dans le droit de la construction et dans le droit fiscal. Aujourd’hui, la zone industrielle allemande disgracieuse génère les impôts locaux, la zone résidentielle est le foyer des électeurs et dans le centre en souffrance, les petits commerçants luttent pour leur survie (et l’association du patrimoine pleure la perte de l’identité rurale). Des infrastructures de transport gigantesques desservent et relient ces différents espaces.
ARCHITECTURE DE L’ÉCHEC
L’urbanisme, en tant que discipline, a tenté de créer de nouveaux espaces urbains, mais il n’y est pas parvenu, ni sur les zones d’habitat proches des centres historiques, ni sur les cités qui devaient servir de satellites pour désengorger les centres-villes. Ce n’est que lorsque les étalements urbains ont commencé à se jouxter et que la ville et la campagne se sont de plus en plus confondues qu’un discours s’est mis en place pour tenter de comprendre et de nommer la nouvelle entité dans son ensemble : agglomération, entre-ville, banlieue ou espace métropolitain. Ces zones sont généralement mal aimées, considérées comme une erreur d’urbanisme ou comme le prix élevé à payer, mais nécessaire, en échange de croissance et de prospérité.
Dans des régions d’Europe particulièrement denses, en Suisse comme aux Pays-Bas ou en Belgique, où l’étalement urbain incontrôlé se développe depuis longtemps, une nouvelle prise de conscience est apparue ces dernières années : ce nouveau type d’espace peut-il développer un caractère unique et spécifique ? Même si les efforts visant à protéger la nature ont échoué un peu partout ? N’est-il pas déplacé de parler de « zones chaotiques » alors que c’est là que vit une grande partie de la population ? Quelles sont les clés qui vont permettre à cette structure très complexe, née du hasard et des forces du marché, de se diriger vers un avenir radieux ?
SOLUTIONS LOCALES POUR LES CYCLES DE RESSOURCES
On a tout d’abord «l’empathie pragmatique », puis l’espace libre. Pendant longtemps, les villes ont entretenu une relation d’échange avec les campagnes pour ce qui est des ressources. C’est de là que venaient la nourriture, l’eau et l’énergie. En échange, les zones rurales ont reçu la sécurité, l’administration, les produits et les déchets. Dans un espace largement urbanisé, cela ne fonctionne plus. Les cycles de ressources doivent être bouclés au niveau local.
Les mots-clés à ce sujet: jardinage urbain, trame verte et bleue, changement de comportement en matière de mobilité, économie circulaire et adaptation climatique. Ces thèmes font désormais partie de la ville. Le jardinage urbain n’a pas encore prouvé tout son potentiel économique.
Lorsque l’on se bat pour des arbres isolés et que l’on discute de la densité de la construction face à l’espace libre, on confond souvent la protection climatique et l’adaptation climatique. La part de la surface consacrée à la végétalisation urbaine est trop faible pour avoir un réel impact sur la protection du climat; son potentiel est trop faible pour l’écosystème. Les villes situées au sud, comme Madrid, montrent que des allées d’arbres, des surfaces rendues perméables, des cours d’eau renaturés et l’ombre projetée par les grands immeubles dans les zones fortement construites peuvent rendre le séjour dans les zones climatiques chaudes plus supportable.
Dans l’environnement plus large des centres, la situation est totalement différente. Dans les zones commerciales imperméabilisées, dans l’agriculture mise à mal par l’industrie, dans les vastes lotissements de banlieue, il existe un fort potentiel de revalorisation écologique qui agit sur plusieurs dimensions. C’est ici que l’énergie renouvelable peut être produite à grande échelle, c’est ici que se trouve la clé d’une mobilité durable, c’est ici que la production agricole peut à la fois être efficace et réguler le climat. Et même dans les quartiers de maisons individuelles peu attractifs, il y a suffisamment de toitures et de limites séparatives pour être autosuffisant et permettre la biodiversité.
VERS LA VILLE COMME PAYSAGE D’AVENIR
Si nous concevons courageusement les espaces métropolitains comme un nouveau paysage, créé par l’homme, mais pouvant être aménagé selon des principes bioécologiques, si nous n’entretenons plus les belles îles comme des parcs, ni les centres-villes comme des monuments figés dans un océan d’indifférence, mais si nous cherchons la beauté sur les parkings devant les commerces, dans les zones industrielles et dans les différents modèles d’habitat des banlieues, nous nous détacherons de la vision étriquée des centres-villes et deviendrons les jardiniers d’un nouveau grand espace : la ville comme paysage d’avenir.
100 ans après la Weissenhof, l’exposition internationale d’architecture 2027 de la région urbaine de Stuttgart travaille sur cette image. De vastes zones commerciales, d’anciennes zones industrielles, des infrastructures telles que de grands hôpitaux, les campus datant des années soixante, sans oublier les quartiers/cités situés en périphérie, représentent les décors de cette transformation. Mais il ne faut pas se mentir, le chemin est long et difficile.
En sus des obstacles techniques et légaux, on ne peut faire sortir certaines idées de la tête des gens qu’avec une grande force de persuasion. Et c’est précisément pour cela qu’un format expérimental comme l’IBA est un outil précieux. Sur place, au cours de discussions menées avec persévérance, et à l’aide du bon argument de l’urgence du changement, l’IBA fait ses premiers pas vers un avenir plus durable et plus beau. Elle crée une image de la région où les usages se superposent et où l’homme et la nature trouvent de nouvelles synergies.
Ce paysage urbain de demain n’a pas besoin d’utopies où l’on démolirait et où l’on reconstruirait, ni de tours vertes avec des systèmes d’irrigation complexes d’un point de vue technique. Il a juste besoin d’une reconquête du sol urbain, de sa réperméabilisation, d’une mise en valeur des bâtiments en tant que partie d’un écosystème et d’une poigne de fer pour tout concevoir et pour protéger l’intérêt général. L’IBA veut prouver que cela est possible dans la ville de Stuttgart et dans sa région avec des projets innovants : les alentours des nouvelles constructions qui viennent remplacer les HLM de Stuttgart-Rot et de Münster passent d’un espace vert d’accompagnement à un espace de vie diversifié. À Schorndorf, un quartier dense, visant l’inclusion sociale voit le jour sur la surface largement imperméabilisée de l’ancien Werkhof. Dans le cadre de la réaffectation et de l’extension du quartier de la filature du Neckar (après plus de 150 ans de production textile), il semble possible d’atteindre un bilan énergétique et écologique positif.
Si l’on revoit correctement l’ordre des valeurs et que l’on trouve un consensus sur un développement porteur d’avenir, les mécanismes de contrôle et d’autorisation stériles ainsi que la culture de la défiance qui empoisonne le monde de la conception pourraient faire place à un dialogue plus constructif, tourné vers les objectifs. L’objectif d’atteindre la qualité en régulant toujours plus n’a en tout cas pas porté ses fruits. C’est le meilleur argument pour partir en toute confiance vers une nouvelle forme de «Gründerzeit», l’âge d’or de l’architecture allemande. Une époque fondatrice qui ne se veut pas «rétro», bien consciente des distorsions sociales de cette période de référence, mais qui transforme les fragments d’une histoire turbulente en espace de vie durable.
Biographie
Il a étudié l’architecture à l’ETH de Zurich où il a été le partenaire du cabinet de conception et d’architecture Archipel. Depuis 2018, il est directeur de l’exposition internationale d’architecture 2027 de la région urbaine de Stuttgart – IBA’27. Dans le cadre de ce format, des projets d’avenir en matière d’architecture, d’urbanisme et d’aménagement de l’espace libre sont testés sur plusieurs années et reçoivent une vraie visibilité auprès du public. Dans la perspective de l’IBA’27, la question est de savoir comment les paysages urbanisés peuvent être repensés à l’heure du changement climatique, de la raréfaction des ressources et de l’évolution de la société.