Autor
Xavier Matilla Ayala,
Architecte-urbaniste et conférencier, Barcelone
05.09.2025

LES SUPER-ÎLOTS DE BARCELONE: OU COMMENT FAIRE DES RUES DE LA VILLE DES ESPACES ANIMÉS, VERTS ET SAINS

Les rues comme espaces de vie, et non plus seulement comme lieux de transit
L’urbaniste Xavier Matilla Ayala présente les super-îlots de Barcelone, un modèle qui a acquis une influence internationale. Son article montre comment la réaffectation des espaces viaires peut générer de nouvelles qualités urbaines, tant pour la santé que pour le climat et la communauté.
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Depuis la naissance de la ville, les rues sont l’endroit central de la vitalité urbaine, un lieu de rencontre et d’échange au sens large. Les rues ont également été le lieu de la mobilité, du dé-placement, mais d’une manière compatible avec d’autres activités telles que les jeux d’enfants, les loisirs, les rencontres, les ballades, les festivités, le repos, les fêtes populaires, les activités culturelles et même les manifestations et les émeutes. Autrement dit, la rue est l’endroit où se déroule la véritable vie urbaine, où les personnes deviennent des citoyens, où la ville prend tout son sens en tant qu’espace collectif.

LA VILLE CENTRÉE SUR LA VOITURE

Malheureusement, la ville industrielle et plus particulièrement l’apparition des voitures privées ont amené une transformation radicale des rues. L’obsession d’une ville fonctionnelle, productive et efficace a transformé les rues en un simple lieu de mobilité et de transport, dominé et occupé par les véhicules motorisés. L’asphalte est apparu, la vie communautaire a disparu des quartiers, l’air a commencé à être pollué, le bruit et les accidents ont augmenté, et un mode de vie de plus en plus individualiste et solitaire s’est installé. Puis sont venus les effets du changement climatique, ce qui a rendu encore plus évidente la nécessité d’une importante remise en question de ce que devraient être nos rues et nos modes de vie urbains.

La stratégie des super-îlots repose sur la transition vers un modèle de mobilité plus efficace, moins polluant et moins encombrant. Ce modèle de mobilité ne peut être atteint qu’en inversant la situation actuelle et en donnant la priorité dans les rues aux piétons, aux vélos et au transport en commun plutôt qu’aux voitures particulières.
Xavier Matilla Ayala,
Architecte-urbaniste et conférencier, Barcelone
Les super-îlots donnent la priorité aux piétons, aux cyclistes, et au transport en commun plutôt qu’aux voitures
Photo : Mairie de Barcelone

REPENSER LES RUES URBAINES

Il est clair que les rues doivent être redéfinies comme des espaces publics où nous pouvons vivre, comme des espaces communautaires, comme le prolongement des logements, notamment des espaces inclusifs qui dynamisent la vie locale des quartiers, comme un nouvel environnement bâti de manière saine, mais de quelle façon ? À Barcelone, la stratégie des super-îlots a permis d’entamer un processus de transformation de ses rues afin d’en créer un nouveau.

Avec un tissu urbain dense et compact, des équipements publics bien répartis dans toute la ville, nous pouvons affirmer que Barcelone est déjà une ville de proximité. Néanmoins, c’est une ville qui connaît des difficultés majeures au sein de son espace public. Il existe un manque cruel d’espaces verts, avec une moyenne totale de seulement 7 m2 d’espace vert par habitant. Il n’y a pas de grands parcs à Barcelone, uniquement quelques parcs de taille moyenne, c’est pourquoi nous disons souvent que Barcelone est une ville essentiellement constituée de rues et de places. Il existe un problème préoccupant de pollution, tant atmosphérique qu’acoustique, dû à un modèle de mobilité qui continue d’utiliser en priorité la voiture dans les rues. Qui plus est, le tissu urbain est très mal adapté aux nouvelles conditions climatiques, qui souffrent déjà de l’effet d’îlot de chaleur urbain.

En conséquence, si la ville souhaite améliorer ses conditions environnementales et sanitaires via une augmentation des espaces verts urbains et une réduction de la pollution et de la chaleur, elle n’a d’autre solution que de transformer son réseau routier. C’est la raison pour laquelle la stratégie des super-îlots convient le mieux dans une ville comme Barcelone, et c’est peut-être pour cette raison qu’elle y est née.

QU’EST-CE QUE LA STRATÉGIE DES SUPER-ÎLOTS ?

La stratégie des super-îlots repose sur la transition vers un modèle de mobilité plus efficace, moins polluant et moins encombrant. Ce modèle de mobilité ne peut être atteint qu’en inversant la situation actuelle et en donnant la priorité dans les rues aux piétons, aux vélos et au transport en commun plutôt qu’aux voitures particulières. De cette manière, nous pouvons réduire le nombre de rues qui sont nécessaires à la circulation de transit et convertir celles qui ne le sont pas en « axes verts », des rues qui peuvent devenir un nouveau type de rue, adaptées au changement climatique, avec de meilleures conditions environnementales et sanitaires, avec de nouveaux espaces favorisant la vie communautaire.

À Barcelone, ce modèle a commencé à être appliqué dans le cadre de plusieurs expériences pilotes dans deux quartiers, en 2016 à Poblenou et en 2018 à Sant Antoni. En 2019, les données collectées ont montré que le nombre de voitures et la pollution avaient notablement diminué, et que les activités sociales dans la rue s’étaient multipliées. Il a donc été convenu de promouvoir l’idée à l’échelle de toute la ville et d’accélérer les transformations. La proposition sur les « axes verts » a été présentée, toutes les rues qui ne seraient pas nécessaires à la circulation de transit et à la mobilité ont été identifiées sur une carte. Ce réseau constitue une nouvelle trame verte et sociale pour toute la ville ; il offre non seulement de nouvelles conditions de proximité, mais relie aussi tous les espaces naturels urbains aux espaces ouverts du territoire.

La vie quotidienne dans des rues réaménagées : des espaces verts, de l’ombre et des chemins accessibles transforment les super-îlots de Barcelone en espaces publics sociaux
Photo :
RdA Suisse | flickr | CC BY 2.0
Le district de l’Eixample se transforme: d’un réseau routier à un nouveau réseau d’axes verts et de places
Visualisation : Mairie de Barcelone

LA MÉTAMORPHOSE DE L’EIXAMPLE

Une zone d’intervention prioritaire a été identifiée dans le quartier central « El Eixample », un tissu urbain compact et dense, avec un maillage de rues en damier conçues et aménagées uniquement pour la mobilité, qui absorbe une grande partie de la circulation des véhicules traversant la ville. Les voitures et l’asphalte occupent plus de 60 % de la surface et il n’y a pas de mobilier urbain permettant de s’asseoir ou de se tenir debout. L’application du concept de super-îlot dans l’Eixample implique une réorganisation globale de la mobilité, ce qui permet de libérer 1 rue sur 3 de la circulation de transit et de les transformer en nouveaux axes verts. La question centrale est que sur ces axes verts, les voitures peuvent circuler mais elles sont obligées de tourner à chaque intersection, ce qui les transforme en rues d’accès, mais pas en rues de transit, ce qui réduit ainsi sensiblement le nombre de véhicules en circulation. De cette manière, un nouveau réseau de 21 axes verts et 21 places peut être créé ; il agit comme une trame environnementale et sociale, qui améliore le confort et les conditions de santé, augmente la présence d’espaces verts et de vie de manière systémique et équilibrée dans toute la zone. En outre, des mesures sont également prises sur les axes de mobilité de base, on réduit les voies de circulation afin d’intégrer des couloirs réservés aux bus et des voies cyclables.

L’AMÉNAGEMENT URBAIN EN ACTION : INTERVENTIONS 2020-2023

Au cours de la période 2020-2023, une première phase d’axes verts a été développée et mise en œuvre, qui comprenait les sections de 4 rues : Consell de Cent, Rocafort, Borrell et Girona, ainsi que 4 places à leurs intersections et à la jonction de la rue Enric Granados, parallèlement à la mise en place de nouvelles voies cyclables sur les principaux axes de mobilité.

Au sein des nouveaux axes verts, les personnes sont les principaux protagonistes du nouveau modèle de rue. Une plateforme unique d’accessibilité universelle est configurée ; les véhicules y sont des invités et les piétons y ont toujours la priorité en marchant au milieu, ce qui permet leur libre circulation, les relations transversales entre les façades et l’apparition d’espaces de séjour et de détente avec du mobilier urbain. La rue est considérée comme une infrastructure environnementale tridimensionnelle qui s’adapte aux effets du changement climatique, qui améliore les conditions sanitaires, le confort, le bien-être émotionnel et la biodiversité. Le sous-sol est régénéré, avec une base plus riche et plus drainante. On augmente la surface perméable, on intègre des systèmes de drainage urbain durable et on plante de nouveaux végétaux et arbres. Les rues sont passées d’un espace réservé uniquement à la mobilité à un espace de vie, un espace à dimension humaine.

Les 4 nouveaux axes verts et les 4 places, depuis leur ouverture, sont devenus très populaires et très appréciés des habitants. Les bancs et les tables sont des endroits où de nombreuses personnes peuvent s’attarder et se rencontrer. Les places offrent un nouvel espace public inédit et nécessaire dans l’Eixample, et les axes verts permettent ce qui était auparavant impossible, à savoir marcher en plein milieu de la rue.

Cette première phase a concerné la transformation d’une superficie totale de 110 000 m2, avec 4,65 km d’axes verts et 8 000 m2 de places. L’espace destiné aux piétons a été augmenté de 58 000 m2, la surface perméable est passée de 1 % à 15 %, l’espace vert urbain a été augmenté de 11 000 m2 et 400 nouveaux arbres de différentes espèces ont été plantés. L’augmentation de l’ombrage et le remplacement de l’asphalte ont permis de réduire la température de surface de 5 °C en été. Le nombre de voitures sur les axes verts et dans l’Eixample dans son ensemble a été réduit de 17 %.

Les nouveaux axes verts de Barcelone montrent qu’il est possible de transformer les rues en nouveaux espaces de vie collective, de proximité, plus sains et adaptés aux nouvelles conditions climatiques. Et l’avantage de la stratégie des super-îlots est qu’elle peut s’adapter parfaitement à n’importe quel tissu urbain.

La rue comme lieu de rencontre, de jeu et de manifestation : Barcelone reprend possession
de son espace public
Photo : Mairie de Barcelone

Biographie

Xavier Matilla Ayala est architecte-urbaniste et travaille à Barcelone. Fort d’une expérience de plus de 20 ans en tant que consultant en urbanisme et en stratégie, il a occupé le poste d’architecte en chef de la ville de 2019 à 2023, où il a dirigé des initiatives importantes telles que le programme des super-îlots. Il enseigne également à l’Université polytechnique de Catalogne et dans le programme de master de l’Institut de Microélectronique de Barcelone.

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Thème
# Société # Trafic # Vert urbain

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